Soirée ARCH / SEEA de janvier 2022 x
en collaboration avec la Société des Etudes Euro-Asiatiques (SEEA), nous retrouverons
Le Jeudi 13 janvier 2022 à 18 heures 30,
en salle atelier 1 au sous-sol du musée du Quai Branly - Jacques-Chirac
(entrée libre et gratuite)
Brigitte STEINMANN (Professeure émérite, Anthropologie sociale, Université de Lille)
Rituels d'exorcisme à l'aide de subterfuges pour les démons (linga, mdos, bouc-émissaire) dans les traditions indo-tibétaines au Népal : inverser les forces de vie (Eros) et de mort (Thanatos) en exorcisant les ancêtres
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Le couple « Eros et Thanatos », qu’on veuille le caractériser par l’opposition de la vie et de la mort, l’association des pulsions sexuelles et des pulsions de mort, ou encore de l’amour et du plaisir charnel en tant qu’opposés à la cadavérisation et la putréfaction, continue de traverser l’espace et le temps en Europe occidentale. Nous en trouvons un contrepoint en Asie orientale, en nous référant en premier lieu aux traditions indiennes qui représentent le phallus du dieu Śiva érigé au-dessus de la yoni, ou matrice de la déesse. Cet ensemble sculptural se présente en effet sous une infinie variété artistique, et symbolise les idées de création et de destruction, les pouvoirs de vie et de mort, associant dans une union quasi-organique les organes du dieu Śiva et de la déesse ou force primordiale (shakti). Nous voulons montrer comment, dans les danses tantriques tibétaines (’cham) et nombre de célébrations rituelles liées aux cycles de vie et de mort chez les populations indo-tibétaines du Népal, les énergies similaires mâle et femelle sont représentées et traitées autour de la construction et de la destruction d’un liṅgam (terme sanscrit), figure anthropomorphique mâle ou femelle, parfois bisexuée, dessinée sur un support papier ou fabriquée pour incarner le mal, l’ennemi personnel ou celui de la religion tout entière. De longs et complexes rituels tantriques et exorcistiques sont joués et rejoués dans le théâtre rituel indo-tibétain, à travers danses, visualisations et constructions éphémères (de type mdos), dans lesquels il s’agit de détruire les ‘démons-obstacles’qui s’attaquent à la personne, tout en laissant s’exhaler l’« âme » de ces démons, procédure qui renforce la puissance de l’officiant.
À travers des analyses illustrées de rituels bouddhistes funéraires et ancestraux au Népal, nous montrons comment le traitement du liṅgam, la fabrication de supports mdos, et le recours à un bouc émissaire, inversent les rapports philosophiques occidentaux entre Eros et Thanatos : dans l’optique bouddhiste tibétaine, tout se passe en effet comme si plaisir, amour, sexuation et mort, tous concepts incarnés à travers l’antiquité gréco-latine dans des figures allégoriques distinctes, étaient au contraire et depuis toujours fondamentalement indissociables dans les mondes indo-tibétains. Nous voulons illustrer comment, dans ces derniers, c’est de la destruction d’un ennemi extérieur que provient la libération et la sortie de la souffrance. Cette destruction, qui est aussi délivrance d’une ‘âme’suppose une lecture inversée des rapports entre Eros et Thanatos, si tant est que la libération du cycle des existences ne peut se produire qu’avec l’élimination-libération d’un liṅgam ‘bisexué’, la fabrication et la destruction de mdos représentant les ancêtres, et l’élimination d’un bouc émissaire. Ainsi est annulée la séparation de l’être entre Eros comme tension et désir infinis, et Thanatos comme mort ou annihilation finale.